Florent Jardin   Conférences  Archives  À propos

La conviction du dimanche soir

Il y a parfois des projets qui émergent de nulle part, d’autres qui mûrissent d’années en années. Certains mêmes peuvent être déclenchés par l’heureuse rencontre de deux inconnus, ou alors par la simple volonté de combler un vide. Aussi, dimanche dernier, je me suis plongé dans la lecture d’un livre technique sans raison apparente et me suis donné pour nouvel objectif de réapprendre le langage C.

Incongru, n’est-ce pas ? Pourtant, l’idée n’est pas nouvelle, elle a germée paisiblement jusqu’à plusieurs récents épisodes de mon quotidien. Et si ce langage informatique, très bas niveau, dont font l’impasse de nombreux étudiants (dont moi durant ma licence), avait des choses à m’apprendre pour progresser dans ma compréhension du logiciel libre ?

Je ne sais pas, mais j’ai eu comme la conviction d’être passer à côté d’une évidence…


Le langage C fait partie des fondations de nos logiciels actuels. Il a émergé dans les années 1970 sous les mains de l’ingénieur Dennis Ritchie à l’occasion de la réécriture du système d’exploitation UNIX. Ce grand monsieur fut lauréat du prix Turing en 1983, rien que ça.

A l’instar du système UNIX qui permit la ramification actuelle que l’on connait avec GNU/Linux, MacOS/iOS et BSD, ce petit langage fut l’élan nécessaire pour l’apparition des générations suivantes des langages, tels que le PHP, Java, C++ et C#, principaux standards de l’industrie d’hier et d’aujourd’hui. Une telle prouesse avec peu de moyens, puisqu’à l’époque, la mémoire vive était de l’ordre d’une centaine d’octets, les architectures matérielles se faisaient une guerre acharnée (oui, Intel x86 n’était pas la référence) et l’Internet n’existait pas.

Mais alors, pourquoi (ré)apprendre le langage C en 2020 ?

Dans son livre, Zed A. Shaw apporte de premiers éléments de réflexion dont je me permets la traduction suivante :

Aujourd’hui, bien trop de programmeurs assument simplement que tout ce qu’ils écrivent fonctionne, mais qu’un jour tout échouera de façon catastrophique. C’est particulièrement vrai si vous êtes le genre de personne ayant appris la plupart des langages modernes qui résolvent beaucoup de problèmes à votre place.

Les manquements aux règles de sécurité moderne du langage C vous impose une plus grande vigilance et d’être plus conscient de ce qui se passe. Si vous parvenez à écrire du code C solide et sécurisé, vous pourrez en écrire dans n’importe quel autre langage.

Apprendre le C vous donne un accès direct à une montagne de code legacy et vous enseignera la syntaxe de base d’un grand nombre de langages. Une fois que vous apprenez le C, vous pourrez facilement apprendre C++, Java, Objective-C, Javascript et davantages encore.

C est réellement un langage élégant de bien des façons. Sa syntaxe est incroyablement concise pour la puissance qu’il offre. C’est pour cette raison que de nombreux autres langages le lui ont emprunté depuis plus de 45 ans.

C vous apporte aussi énormement avec peu de moyens technologiques. Lorsque vous achevez votre apprentissage du C, vous aurez une opinion plus fine de quelque chose qui est tout aussi élégant et déplaisant à la fois. Le langage C est vieux, de la même façon qu’un beau monument, il vous semblera fantastique à une distance de 20 pieds, mais si vous vous en approchez, vous vous apercevrez qu’il est recouvert de fissures et de défauts.

Si l’on s’attarde sur la popularité des langages dans le monde du logiciel libre, on constate que le langage C arrive en 11ème position d’après l’enquête annuelle de StackOverflow et en 9ème position dans le rapport de l’Octoverse Github.

Octoverse - Top Languages in 2019

Et oui. Rien de plus sexy que le JavaScript ou le Python de nos jours ! Mais pour toutes les raisons de design ou de sécurité citées plus haut, la présence du langage C dans les plus populaires des langages en 2019 révèle une certaine réalité de terrain.


Ce n’est pas anodin cependant que je me penche à nouveau sur le langage C. Mon intérêt pour le projet libre PostgreSQL me fait me questionner sur l’usage des langages de bas niveau pour les logiciels d’envergure. Pour de nombreux contributeurs, rien de plus fiable et de plus robuste qu’un projet qui repose sur des bases connues et reconnues par l’Institut national américain de normalisation (ANSI) depuis trois décennies.

Le C est absolument partout. Les systèmes d’exploitation, les sytèmes embarqués, les systèmes de bases de données. Mon dernier exemple en date remonte à ce matin, lorsque David Steele a annoncé sur Twitter que le projet pgBackRest venait de migrer intégralement en C pur, après des mois de réécriture.

Je n’ai pas de recul ni d’expérience pour avancer que la portabilité, la performance et la longévité impressionnante font de ce langage un choix opportun pour le logiciel, qu’il soit libre ou non.

Je ne sais pas, peut-être une intuition.