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La meilleure chose depuis le pain en tranches

Je me souviens de cette époque où j’ai été confronté pour la première fois à la notion de TOAST avec PostgreSQL. Je trouvais la dénomination amusante, bien qu’étrange, pour nommer le mécanisme de stockage étendu « The Oversized-Attribute Storage Technique ». Bien que l’acronyme ne fasse pas de référence culinaire, on peut retrouver dans la documentation officielle qu’il s’agissait d’une petite révolution et de la meilleure chose depuis le pain en tranches.

Envie d’une tranche de pain ?


Le seuil de dépassement

Depuis le tout début du projet PostgreSQL, les lignes (ou tuples) d’une table sont ajoutées dans un ensemble de pages qui composent une table dès qu’un espace libre est disponible. Un tuple de données ne peut être écrit dans plusieurs pages, en opposition à ce que propose Oracle avec la notion de chaînage de lignes (row chaining).

En version 8.0 apparaît la technique TOAST. Celle-ci est transparente et garantit que les champs de tailles variables comme text, jsonb, hstore ou bytea puissent être écrits en dehors des pages de 8 ko afin de lever la contrainte de stockage. On peut résumer les quelques éléments théoriques :

  • La taille d’un tel champ peut atteindre la taille maximale de 1 Go ;
  • Une compression LZ est éventuellement réalisée pour éviter de toaster la donnée en dehors de la relation principale ;
  • PostgreSQL découpe la donnée en morceaux de taille équivalente, appelés chunks  et les écrit dans une table pg_toast_xxxxx indexée ;
  • Un pointeur vers l’adresse des chunks est renseigné dans la ligne principale en lieu et place de la donnée.

Prenons une table people avec une clé primaire et une colonne jsonb pour y stocker des données dénormalisées. (Oui. Le NoSQL est partout.)

CREATE TABLE people (
  id BIGINT GENERATED ALWAYS AS IDENTITY,
  details jsonb,
  PRIMARY KEY (id)
);

Plus haut, je précisais que la compression est éventuelle : il s’agit de la stratégie par défaut avec un mode extended pour le stockage de la colonne details. Dans cet article, je désactive la compression en changeant le typstorage pour m’assurer que le mécanisme se déclenche correctement. Dans un cas réel de production, cette option peut apporter un léger gain en vitesse d’exécution au détriment d’une consommation en espace disque plus conséquente.

ALTER TABLE people ALTER COLUMN details SET STORAGE EXTERNAL;
  • p (plain) : la valeur doit être stockée normalement ;
  • e (external) : la valeur peut être stockée dans une relation « secondaire »
  • m (main) : la valeur peut être stockée compressée sur place ;
  • x (extended) : la valeur peut être stockée compressée sur place ou stockée dans une relation « secondaire ».

À la création de la table people, on constate qu’une deuxième relation est automatiquement provisionnée pour accueillir les données larges : il s’agit de pg_toast_32865, que l’on identifie à l’aide de la table système pg_class.

SELECT reltoastrelid::regclass relname,
       pg_relation_filepath(reltoastrelid) filepath,
       pg_size_pretty(pg_relation_size(reltoastrelid)) relsize
  FROM pg_class WHERE relname = 'people';

--          relname         |     filepath     | relsize 
-- -------------------------+------------------+-----------
--  pg_toast.pg_toast_32865 | base/13393/32868 | 0 bytes

Dans l’exemple qui suit, je souhaite démontrer que ce mécanisme ne se déclenche qu’au-delà d’un certain seuil. Si une ligne est plus grande que la constante interne TOAST_TUPLE_THRESHOLD, le moteur tentera de réduire sa taille à l’aide de la compression. Si la taille est toujours supérieure à la variable de stockage TOAST_TUPLE_TARGET, la donnée sera alors déportée dans une table secondaire. Par défaut, ces deux seuils valent à peu près 2 ko.

J’utilise l’extension postgresql_faker pour alimenter ma table avec des noms et des prénoms aléatoires au format JSON. Une idée originale de Damien Clochard, contributeur de l’incroyable extension pg_anonymizer. C’est fun, rapide et prend en considération la langue de son choix.

SELECT faker.faker('FR_fr');

INSERT INTO people (details) 
SELECT format(
         '{"firstname":"%s","lastname":"%s"}', 
         faker.first_name(), faker.last_name()
       )::json 
FROM generate_series(1,10);

SELECT ctid, pg_size_pretty(pg_column_size(details)::bigint) colsize,
       id, details->>'lastname' lastname, details->>'firstname' firstname       
  FROM people;

--   ctid  | colsize  | id | lastname  | firstname  
-- --------+----------+----+-----------+------------
--  (0,1)  | 51 bytes |  1 | Godard    | Jacques
--  (0,2)  | 52 bytes |  2 | Richard   | Martine
--  (0,3)  | 57 bytes |  3 | Lemonnier | Théophile
--  (0,4)  | 51 bytes |  4 | Perrin    | Gérard
--  (0,5)  | 50 bytes |  5 | Alves     | Gilbert
--  (0,6)  | 49 bytes |  6 | Aubry     | Louise
--  (0,7)  | 52 bytes |  7 | Garnier   | Gérard
--  (0,8)  | 49 bytes |  8 | Ruiz      | Cécile
--  (0,9)  | 53 bytes |  9 | Herve     | Stéphanie
--  (0,10) | 51 bytes | 10 | Jacques   | Pierre

Les données de la colonne details au format JSON ont une taille moyenne de 52 octets. C’est bien inférieure à la limite de 2 ko, il est juste de penser qu’aucune de ces valeurs n’ait été toastée dans la relation secondaire. La requête plus haut m’indique que la taille de la relation secondaire est toujours nulle.

Procédons à l’ajout d’un commentaire volontairement volumineux pour l’un des tuples de ma table. Disons une succession de 1000 mots aléatoires. Nous observons à l’aide de la méthode pg_column_size que la donnée présente une taille de 10 ko.

UPDATE people 
   SET details = details || jsonb_build_object(
         'comment', faker.text(1e4::int, '')
       )
 WHERE id = 1;

VACUUM people;
SELECT ctid, pg_size_pretty(pg_column_size(details)::bigint) colsize,
       id, details->>'lastname' lastname, details->>'firstname' firstname       
  FROM people WHERE id = 1;

--   ctid  | colsize  | id | lastname  | firstname  
-- --------+----------+----+-----------+------------
--  (0,11) | 10 kB    |  1 | Godard    | Jacques

À l’issue de l’ordre UPDATE, la ligne dont l’adresse physique était (0,1) a été dupliquée dans un nouvel emplacement du même bloc (0,11). Je force un VACUUM pour nettoyer le bloc afin que la précédente version ne soit plus visible par la suite.

Si je consulte la table système pg_class, j’observe que le fichier secondaire rattaché à notre table a pris du poids. Pour accueillir le commentaire au sujet de M. Godard, PostgreSQL a alloué deux blocs de 8 ko, soit 16 ko en tout.

SELECT reltoastrelid::regclass relname,
       pg_relation_filepath(reltoastrelid) filepath,
       pg_size_pretty(pg_relation_size(reltoastrelid)) relsize
  FROM pg_class WHERE relname = 'people';

--          relname         |     filepath     | relsize 
-- -------------------------+------------------+-----------
--  pg_toast.pg_toast_32865 | base/13393/32868 | 16 kB

Nous nous retrouvons avec un fichier de dépassement, réservé aux données volumineuses. PostgreSQL parvient à reconstruire silencieusement la ligne complète en mettant bout à bout les données stockées dans le fichier principal et celles du fichier secondaire. On parle alors de detoasting. Une requête SELECT sur la colonne people.details fournira la donnée réelle sans que l’utilisateur n’ait connaissance de l’emplacement physique des informations.


Structure du pointeur de TOAST

Comme présenté dans l’introduction, PostgreSQL va devoir maintenir un lien entre une ligne et son contenu toasté, notamment grâce à un pointeur dont la structure est encodé sur 18 octets, comme le précise la documentation.

Allowing for the varlena header bytes, the total size of an on-disk TOAST pointer datum is therefore 18 bytes regardless of the actual size of the represented value.

Ni une ni deux, je saute sur l’extension pageinspect afin de décoder le contenu de la nouvelle ligne (0,11) et de voir la représentation de ce fameux pointeur. Pour cela, je joins la table système pg_attribute et le tableau t_attrs fourni par la méthode heap_page_item_attrs() de l’extension.

SET bytea_output = 'hex' ;

SELECT p.t_ctid, pg_size_pretty(length(r.data)::bigint) colsize,
       a.attname, r.data
  FROM heap_page_item_attrs(get_raw_page('people', 0), 'people'::regclass) p
  JOIN LATERAL unnest(p.t_attrs) 
  WITH ORDINALITY AS r(data, attnum) ON true
  JOIN pg_attribute a ON a.attnum = r.attnum 
   AND a.attrelid = 'people'::regclass AND a.attnum > 0
 WHERE t_ctid = '(0,11)';

--  t_ctid | colsize  | attname |                  data                  
-- --------+----------+---------+----------------------------------------
--  (0,11) | 8 bytes  | id      | \x0100000000000000
--  (0,11) | 18 bytes | details | \x011225280000212800006980000064800000

La donnée details est bien encodée sur 18 octets. Dans le cas qui nous concerne, le premier octet 0x01 indique qu’il s’agit bien d’un pointeur d’adresse pour une donnée externe, comme l’explique un commentaire dans le fichier src/include/postgres.h pour la définition de structure varattrib_1b_e (source). Dans cette démonstration, la distribution Linux est un Debian (little endian) et la lecture des octets de données est inversée. Je vous renvoie à l’explication du boutisme (ou endianness) si besoin.

Pour ne rien vous cacher, mes recherches à ce sujet m’ont amené sur des blogs chinois récents où les explications et démonstrations ont été très instructives. Pour en faire la synthèse, le pointeur se découpe donc en 2 octets d’état (mark bits) et quatres informations de 4 octets chacune.

TailleDescriptionReprésentationValeur
1 octetBit d’état pour un stockage little-endian0x011
1 octetType du pointeur défini par l’énumération vartag_external0x1218
4 octetsTaille de la donnée avec les en-têtes0x2528000010277
4 octetsTaille de la donnée externe sans les en-têtes0x2128000010273
4 octetsIdentifiant unique à l’intérieur de la table TOAST0x6980000032873
4 octetsIdentifiant de la table TOAST0x6480000032868

L’ensemble de ces éléments nous fournit à présent l’emplacement de la donnée à décoder. Sans surprise, la relation ayant l’identifiant 32868 s’avère être le fichier secondaire de la table people. Toutes les relations TOAST présentent un identifiant, une séquence et une donnée binaire, le tout parfaitement indexé pour garantir les meilleures performances d’accès lors de la reconstitution de la ligne.

select 32868::regclass;

--         regclass
-- -------------------------
--  pg_toast.pg_toast_32865

\d pg_toast.pg_toast_32865

-- TOAST table "pg_toast.pg_toast_32865"
--    Column   |  Type   
-- ------------+---------
--  chunk_id   | oid
--  chunk_seq  | integer
--  chunk_data | bytea
-- Owning table: "public.people"
-- Indexes:
--   "pg_toast_32865_index" PRIMARY KEY, btree (chunk_id, chunk_seq)

À l’aide du deuxième identifiant interne 32873, communément appelé chunk_id, nous sommes libre de consulter le contenu de la relation secondaire avec une requête classique. Évidemment, cette relation n’est jamais manipulée directement mais elle nous permet de diagnostiquer l’état d’un bloc de données si un message de corruption s’est jeté à l’écran d’un utilisateur.

SELECT ctid, chunk_id, chunk_seq,
       pg_size_pretty(octet_length(chunk_data)::bigint) chunk_size,
       substring(chunk_data for 10) preview
  FROM pg_toast.pg_toast_32865
 WHERE chunk_id = 32873;

--  ctid  | chunk_id | chunk_seq | chunk_size |        preview         
-- -------+----------+-----------+------------+------------------------
--  (0,1) |    32873 |         0 | 1996 bytes | \x03000020070000800800
--  (0,2) |    32873 |         1 | 1996 bytes | \x20646f63746575722e20
--  (0,3) |    32873 |         2 | 1996 bytes | \x656e64656d61696e206c
--  (0,4) |    32873 |         3 | 1996 bytes | \xa7612070726f6d656e65
--  (1,1) |    32873 |         4 | 1996 bytes | \x204dc3a96d6f69726520
--  (1,2) |    32873 |         5 | 293 bytes  | \x6c6572206e6f74652e20

Une donnée est découpée en petites tranches de 2 ko environ et sa taille complète renseignée au sein du pointeur, permet à PostgreSQL d’appliquer un offset de lecture au moment de l’opération de detoasting. Dans l’exemple ci-dessus, la somme des six chunks correspond bien à la taille de 10 273 octets maintenue par le pointeur.

Conclusion

Dans cet article, je voulais comprendre le fonctionnement interne du stockage étendu et ce qui se cachait derrière les fichiers secondaires pg_toast_xxxxx. Des outils simples comme le catalogue (pg_class, pg_attribute) et l’extension pageinspect ont suffi à remonter jusqu’au pointeur d’une donnée large et de retrouver l’adresse de son stockage dans une relation TOAST.

Ce mécanisme encourage l’emploi des champs de taille variable, si l’on ne connait pas les besoins métiers au début d’un projet. On bénéficie des fonctionnalités de compression voire de dépassement si le seuil est atteint. Malgré ces avantages, nous ne sommes pas à l’abri d’une forte fragmentation lors de mises à jour intensives de ces données toastées. Un VACUUM FULL peut devenir la seule solution de maintenance lorsque l’on ne maîtrise plus leur taille sur les disques.

Également, le choix de stocker des données volumineuses apporte son lot de complexité avec des algorithmes d’indexation à connaître et maîtriser. On peut parler du HASH ou du GiST pour s’assurer des performances adaptées, et aussi du GIN, dans le cadre de recherche spécialisée JSON ou peut-être pour faire de la recherche plein-texte.