En route vers la liberté avec db_migrator
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J’ai passé plusieurs semaines ces derniers mois à contribuer à l’extension db_migrator. Rédigée uniquement en PL/pgSQL, elle permet de migrer les schémas et les données d’un système de bases de données vers PostgreSQL à l’aide des données externes que j’avais déjà présentées il y a quelques années.
Dans cet article, je présente le fonctionnement de l’outil, sa philosophie et la raison d’être que je lui ai trouvée, alors même qu’il rejoint l’écosystème des projets libres déjà bien installés dans le paysage de la migration. Que vaut-il aux côtés d’Ora2Pg ou de pgloader ?
db_migrator entre dans l’arène
Mon intérêt pour ce projet remonte à décembre dernier, alors qu’un collègue de chez Dalibo nous laissait en héritage un outil similaire avec lequel il lui était possible de copier les données d’instances Oracle ou Sybase à l’aide de la technologie des Foreign Data Wrappers (FDW). Bien que cet outil soit resté en alpha, beaucoup de bonnes idées y ont été expérimentées en interne.
La promesse des FDW réside dans le respect de la norme SQL/MED, à savoir qu’une instance PostgreSQL puisse s’interfacer sur un autre système de stockage et en manipuler les données à travers les tables externes avec de simples requêtes SQL. Ainsi, pour peu qu’une communauté ait développé le wrapper, il est possible de consulter un catalogue distant, reproduire la structure des tables, ses relations et ses contraintes, et de rapatrier les données vers PostgreSQL.
Et db_migrator entre dans l’arène.
Rendue publique en novembre 2019 par Laurenz Albe, connu pour sa contribution active sur PostgreSQL depuis des décennies et également pour le développement de oracle_fdw, l’extension se présente comme un outil générique avec lequel il faut employer des plugins pour la prise en charge des FDW. Il est aisé d’en créer de nouveaux, comme j’ai pu m’en rendre compte avec le plugin mysql_migrator, écrit en quelques jours, grâce à la documentation très complète de l’API des plugins.
Après avoir installé les extensions avec make install
ainsi que le FDW du bon
système, il est nécessaire de créer les objets dans la base de données qui va
contenir les futurs schémas et leurs données.
CREATE EXTENSION mysql_fdw;
CREATE EXTENSION mysql_migrator CASCADE;
CREATE SERVER mysql FOREIGN DATA WRAPPER mysql_fdw
OPTIONS (host 'mysql_db', fetch_size '1000');
CREATE USER MAPPING FOR PUBLIC SERVER mysql
OPTIONS (username 'root', password 'password');
L’opération de migration peut être réalisée en une seule commande pour les cas
les plus simples (pas de procédure stockée, ni de types de colonnes exotiques)
avec la méthode db_migrate()
. Sinon, en plusieurs étapes, s’il est nécessaire
de faire des ajustements comme le changement du type de colonne ou le retrait
d’une table dans le schéma cible.
Lors du développement de l’extension mysql_migration
, je suis parti de la base
d’exemple Sakila fournie par MySQL afin d’avoir une complexité exhaustive.
La première étape consiste à créer deux schémas internes, l’un avec des tables
externes fournies par le plugin, l’autre avec des tables de catalogue que l’on
peut éditer avant que l’extension ne poursuive la migration.
SELECT db_migrate_prepare(
plugin => 'mysql_migrator',
server => 'mysql',
only_schemas => '{sakila}'
);
Cette partie peut être relativement longue, puisqu’elle va permettre de rapatrier le modèle de données, que j’appelle le catalogue, sous la forme de plusieurs tables qui décrivent la structure des tables, le nom des colonnes ou les contraintes qui leur sont associées. L’extension importe également les sources de toutes les procédures stockées, les fonctions, les vues, mais ne réalise pas leur conversion en PL/pgSQL (vous ne vous rendez pas compte du travail que cela représente).
Dans le cas de la migration de la base Sakila, il est nécessaire de faire plusieurs modifications du catalogue. Comme le reste avec cette extension, toute la préparation se réalise en SQL, ce qui rend facile l’automatisation avec un unique script en guise de configuration.
/* exclude bytea columns from migration */
DELETE FROM pgsql_stage.columns WHERE type_name = 'bytea';
/* quote character expression */
UPDATE pgsql_stage.columns
SET default_value = quote_literal(default_value)
WHERE NOT regexp_like(default_value, '^\-?[0-9]+$')
AND default_value <> 'CURRENT_TIMESTAMP';
/* disable view migration */
UPDATE pgsql_stage.views SET migrate = false;
On pourrait bien sûr aller plus loin, comme réinjecter la définition des vues
réécrites dans la table pgsql_stage.views
ou activer la migration des
procédures en changeant la colonne migrate
de la table
pgsql_stage.functions
. Mais progressons avec l’étape suivante.
SELECT db_migrate_mkforeign(
plugin => 'mysql_migrator',
server => 'mysql'
);
SELECT db_migrate_tables(
plugin => 'mysql_migrator'
);
La première méthode db_migrate_mkforeign()
va se charger de créer les schémas
et les séquences, puis les tables étrangères avec les colonnes au regard des
ajustements précédents. Ensuite, l’étape la plus cruciale, on exécute la
fonction db_migrate_tables()
: les tables vierges sont créées avec leurs
partitions si besoin, et pour chacune d’entre elles, débute alors la copie des
données avec l’instruction INSERT INTO SELECT *
.
Les autres objets, tels que les index ou les contraintes, disposent de leur propre méthode. Il est nécessaire de créer les fonctions avant ces derniers si vous êtes confronté à des index fonctionnels ou que sais-je.
SELECT db_migrate_functions(plugin => 'mysql_migrator');
SELECT db_migrate_triggers(plugin => 'mysql_migrator');
SELECT db_migrate_views(plugin => 'mysql_migrator');
SELECT db_migrate_indexes(plugin => 'mysql_migrator');
SELECT db_migrate_constraints(plugin => 'mysql_migrator');
La fin de la migration consiste à supprimer les schémas temporaires dans lesquels se trouvaient les tables du catalogue.
SELECT db_migrate_finish();
Raison d’être de l’extension
Comme je le disais en introduction, c’est assez surprenant de voir un nouvel outil de migration émerger en 2023 (la version 1.0.0 est sortie en janvier avec mon patch sur l’ajout du partitionnement). Dans le paysage open-source, nous pouvons parler d’Ora2Pg qui a sorti en juillet sa version 24.0 avec le support de SQL Server ou bien de pgloader qui a une excellente réputation.
De très nombreux projets sont listés sur le wiki communautaire. Certains sont spécialisés pour un seul système, d’autres en migrent plusieurs. Une très grande majorité d’entre eux sont propriétaires ou n’ont plus de contribution récente. La plupart sont des boîtes noires et leur documentation peut paraître cryptique, voire quasi inexistante.
L’écosystème est riche, je ne prétends pas tous les connaître, mais j’ai une intuition que je me forge depuis quelques années. L’économie mondiale est en surchauffe. Certaines sociétés se portent bien, d’autres font des coupes budgétaires. La transition vers un système libre et sans licence commerciale comme PostgreSQL est toujours d’actualité, peut-être même plus urgente aujourd’hui en comparaison à la décennie qui vient de s’écouler.
Et pourtant, avec mes lunettes de DBA, je ne me satisfais pas encore des outils qui existent. J’aimerais qu’il y ait une nouvelle alternative, quelque chose d’universel et à portée de tout le monde. Si je me tourne aujourd’hui vers db_migrator, ce serait pour les principaux atouts suivants :
Une implémentation bas niveau au plus près de l’instance : avec le PL/pgSQL comme langage exclusif. Cela n’aurait pas été possible bien sûr sans le développement prolifique des Foreign Data Wrappers pour un grand nombre de systèmes ;
Une très grande flexibilité de configuration : puisque les ajustements se font avec des requêtes
UPDATE
ouDELETE
sur le catalogue. Pour peu que l’on soit à l’aise avec le modèle de ce dernier, il devient facile de changer un comportement sans consulter une documentation technique sur les options qui se présentent à nous ;Une liberté dans l’orchestration : à ce jour, les exécutions sont déclenchées de façon séquentielle pour les index et les contraintes, mais l’architecture de l’outil pourrait permettre que des outils externes soient responsables de consommer les résultats de l’extension et de déclencher les opérations en parallèle ;
Les plugins sont libres d’enrichir la migration : si une opération n’est pas générique, il est tout à fait possible de fournir une méthode supplémentaire à l’aide du plugin. C’est le cas de la copie incrémentale (et ses fonctions de réplication) du plugin ora_migrator ou bien la conversion des auto-incréments en colonnes d’identité avec le plugin mysql_migrator.
Le chemin vers la liberté me semble encore long pour prétendre faire la moitié de ce que propose déjà Ora2Pg, à commencer par la conversion automatique qui n’est pas du tout à l’ordre du jour. Mais avec de petites avancées, régulières et réfléchies, qui sait ?